Septembre 2022  bis :
un événement qui interpelle…

L’émotion mondialement partagée à l’occasion de la mort d’Elizabeth II est philosophiquement intéressante. Monarchistes, ennemis de la monarchie, démocrates réels, despotes, démocrates apparents… tous rendent à la reine d’Angleterre un hommage sincère. Comment expliquer cette réaction au moment où l’indifférence et le fanatisme sont en train d’effacer partout dans le monde la conscience politique ?

Témoin de la Révolution française, Kant soutient que le sens de l’événement n’est pas dans les faits, souvent barbares, perpétrés par les révolutionnaires, mais dans la façon dont ce soulèvement est reçu par les spectateurs, notamment les observateurs des pays étrangers. Ceux-ci ferment les yeux sur les violences pour saluer la dénonciation de l’absolutisme et l’exigence de liberté.

La remarque du philosophe pourrait nous éclairer. Ce qui est aujourd’hui salué, ce n’est pas un régime mais un certain type d’autorité. Étrangère aux partis pris et aux partis politiques, la reine d’Angleterre a incarné cette règle en accompagnant une succession de ministres sans jamais juger leur façon de gouverner. Échappant ainsi aux versatilités politiciennes et grâce à sa longévité, la reine Elizabeth a assisté aux événements, très souvent dramatiques, qui ont marqué le 20e siècle et le premier tiers du 21ème. Figure emblématique, garante d’une tradition millénaire, elle a été le symbole de la durabilité.

La résistance à l’érosion politique et à l’usure du temps, associée à l’affirmation de la fidélité à un peuple quoi qu’il en soit, constitue une autorité d’un autre ordre, dont notre temps a perdu la trace. Il s’agit de l’autorité morale. Le fondement de celle-ci n’est ni la domination, ni la séduction, ni l’art de la communication mais la cohérence entre le rôle et l’attitude, cohérence elle-même ancrée dans la conviction d’être à sa juste place pour servir le bien commun. Elizabeth II a su préserver cet accord interne en compenser son austérité par la fantaisie colorée de ses chapeaux.

Si la monarchie constitutionnelle britannique lui a offert un cadre propice, Elizabeth II a animé cet entour par sa personnalité. Et c’est à elle que l’hommage est rendu. Cet hommage témoignerait-il d’une nostalgie, lovée au fond de nous ? Nostalgie d’un temps qui ne dévorait pas ses enfants dans l’éphémère vertigineux de son passage et le nuage nauséabond des informations ? Nostalgie d’une personnalité publique apte à demeurer au-dessus de la mêlée et de ses convulsions ? …

En tous cas, loin de toute arrière-pensée royaliste, il est philosophiquement intéressant de réfléchir sur cette étonnante situation.

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