Définie comme le pouvoir individuel de choisir, la liberté se trouve d’emblée située à un carrefour encombré. La capacité de discerner dépend de l’ouverture d’esprit qui dépend elle-même de l’éducation et de l’instruction reçues. Éducation et instruction dépendent de l’environnement social lui-même dépendant d’une multiplicité de facteurs entrecroisés. Le discernement est inévitablement brouillé par les émotions qui nourrissent les opinions qui les excitent à leur tour. Quant à la liberté d’aller et de venir, si chère à Montaigne, elle relève autant de l’autonomie physique et mentale que d’un régime politique qui l’autorise pleinement. Pris dans l’étau des dépendances, chacun d’entre nous est captif, observateur d’une cage dont il ne perçoit pas clairement la structure ni les dimensions. Captif, il désire l’indépendance et se révolte spontanément contre tout ce qui évoque la complexité de sa situation.
Les technologies du numérique et la tournure corrélative de l’information exacerbent le difficile exercice de la liberté. La presse couramment consultée procède par des « ou bien/ou bien » tonitruants, mettant systématiquement le public face à deux opinions opposées, elles-mêmes suscitées par des questions fermées. Les communications internautiques amputent les échanges de l’indispensable part réflexive en les réduisant à des réactions codifiées. La numérisation, en mettant à la disposition des divers pouvoirs nos données personnelles, rend désormais possible une surveillance permanente et nous expose à une tyrannie d’un genre entièrement nouveau.
De cette tyrannie, nous sommes tous complices. Cette tyrannie ne saurait cesser avec une décision gouvernementale. La passion de l’immédiateté, induite par les technologies et érigée en critère journalistique concurrentiel, empêche gouvernants et gouvernés de réfléchir. Le péril qui menace aujourd’hui notre liberté est dans l’interdit non-dit de la réflexion. La réflexion implique la confrontation de points de vue divers visant un intérêt humainement commun. À l’illusion d’une liberté qui s’obtient à coups de hache, à la tentation de démissionner face à notre impuissance, nous devons substituer la prise de conscience de notre difficile mais possible liberté. Ce devoir est le premier acte d’une politique qui a pour finalité la liberté.