Effrayé par la production industrielle de la mort dans les camps nazi et par la pulvérisation nucléaire de deux cités, Hans Jonas associe l’éthique de la responsabilité à la pratique du principe de précaution. Afin de préserver l’humanité et son environnement de la disparition, il est, selon ce philosophe, nécessaire de substituer la peur à la vertu : davantage prêter l’oreille à la prophétie du malheur qu’à celle du bonheur. Dans cette perspective, l’anticipation du pire constitue le meilleur moyen de protection contre le pire lui-même.
L’application actuelle du principe de précaution semble oublier qu’anticiper consiste à réfléchir à partir du connu en imaginant l’improbable. À combiner expérience et fantaisie. L’expérience ne nous a-t-elle pas appris que l’inattendu arrive, sinon toujours comme le pense Shakespeare, du moins fort souvent ? En s’arque-boutant sur la crainte et en oubliant que la responsabilité éthique relève de la liberté individuelle, la précaution tourne le dos à la prudence pour alimenter des mesures monolithiques et infantilisantes.
Le mot grec pour dire la prudence, phronesis, désigne la sagesse pratique, cette réflexion qui vise la justesse de l’action. La pertinence de l’action pour affronter une situation exige la vision claire du contexte et du port à atteindre, l’approvisionnement astucieux en moyens pour mener la navigation et la capacité d’improviser pour parer aux imprévus. Telle est la définition d’Aristote qui érige la sagesse pratique en vertu éthique et politique.
Entre la « logique du pire » où le catastrophisme supprime toute visibilité et « la pensée positive » qui gomme le tragique irréductible de l’existence, il existe une voie du « milieu ». La voie de la vigilance confiante, responsable et créative. À nous, individuellement et collectivement, de faire en sorte que la « rentrée 2020 » écrive de nouvelles pages – un essaim de feuilles pour un ciel imprévisiblement limpide. La page blanche : c’est ainsi que Magritte nomme son tableau contrasté et fantasque !