En passant du grec au français, le terme qui désigne l’activité physique change de sens. Au pays des Olympiades, l’entraînement du corps était associé à l’épreuve du combat. La valeur de l’exercice par lequel le citoyen maintenait son équilibre physique et mental se révélait dans la lutte avec ceux qui s’y employaient comme lui. Ainsi le lanceur de disque mesurait son talent dans la concurrence avec d’autres discoboles, le coureur avec d’autres coureurs etc. « Lutteur » est le sens grec du terme « athlète ». La « gymnastique », le fait d’éduquer son corps nu dans l’espace dédié à cet effet, se profilait sur le fond d’une concurrence loyale au bout de laquelle le meilleur, en la circonstance, l’emportait. En Grèce, on ne parlait pas de « jeux » mais de « combats » Olympiques.
L’importance de l’entraînement du corps a traversé les siècles en changeant de champ sémantique. Le terme « sport », utilisé en Angleterre dès le 15ème siècle, est une abréviation de l’ancien français « desport » qui signifie le divertissement. Si la concentration sur l’exercice corporel demeure, si la qualité de celui-ci reste associée à la compétition, son horizon n’est plus la gravité de la lutte mais la légèreté du loisir. Comment comprendre ce glissement ? Est-ce par préjugé en faveur d’activités plus directement productives comme l’industrie, le commerce, la création intellectuelle ? Est-ce par évitement du côté guerrier propre à tout combat ? En tous cas, c’est un fait que le sport, obligatoire dans le cadre de l’enseignement primaire et secondaire, apparaît, malgré les injonctions officielles, comme une discipline accessoire.
Or l’intérêt croissant que les humains du monde entier manifestent pour les compétitions sportives montre que le sport se situe au-delà tant de la lutte que du jeu. Il est une activité accessible à tous autant pour sa pratique que pour son spectacle. Il est un combat où la victoire n’implique pas des morts et des blessés mais coïncide avec le triomphe du meilleur. Meilleur objectivement, meilleur aux yeux de tous, mais meilleur provisoirement, seulement cette fois-ci, rien n’étant gagné d’avance. Les compétitions sportives sont une manifestation qui attire l’attention sur l’action effectuée et qui, tant qu’elle dure, gomme les différences raciales, nationales, sociales, physiques. Par ailleurs, les JO deviennent, à partir de 1910 et surtout à partir de 1922 grâce à Alice Milliat, le terrain d’une lutte saine et pacifique pour l’égalité hommes/femmes.
Au-delà des barbaries guerrières et des mollesses ludiques, les jeux compétitifs sportifs incarnent, pour un court moment, la devise que nos démocraties sont impuissantes à respecter : « liberté, égalité, solidarité ». Le succès des Olympiades et des Paralympiades 2024 dans un monde en feu, meurtrier, inégalitaire et divisé indiquerait-il la présence d’une aspiration universelle à la création d’une humanité mondiale pacifiée ? Aspiration cachée, interdite d’expression par les discours ambiants, refoulée par la violence indolore de prises de position irresponsables, d’institutions impuissantes, de slogans irréfléchis, de réseautages compulsifs ? Eau qui dort…mais qui, au lieu de susciter notre méfiance, pourrait nous porter à espérer ?