À la mise en garde philosophique « les apparences sont trompeuses » fait écho le proverbe « l’habit ne fait pas le moine ». Cette expression a le mérite de dénoncer l’hypocrisie de ceux qui, feignant la vertu par leurs accoutrements, transgressent les principes éthiques par leur comportement. Au soupçon dont fut chargé le vêtement rituel a succédé, dans les pays de culture catholique, le retrait progressif, de la place publique, des soutanes et habits monastiques. En quelques décennies, la ligne vestimentaire de séparation entre religieux et gens du commun s’est ainsi silencieusement estompée. Délesté de son habit, le moine hypocrite rejoignait le cortège des autres tartuffes.
Reprenant à son compte la pensée évangélique « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », le principe de laïcité, issu de la philosophie des Lumières, stipule la séparation entre société civile et société religieuse. Du fait de sa neutralité, l’État laïc autorise et protège la pluralité des croyances à condition que les adeptes de celles-ci respectent le droit établi et l’ordre public. Le droit à la liberté de conscience a pour corollaire le devoir du citoyen croyant de limiter sa pratique rituelle au domaine privé dont font partie les lieux de culte. Dans l’Occident, officiellement/majoritairement chrétien depuis le 4ème siècle, le retrait silencieux des habits rituels avait évité, pour un certain temps, la question de leur port dans les écoles et dans les hôpitaux. Ces signes visibles d’appartenance religieuse faisaient partie du paysage.
Le problème s’est intensément posé avec la présence, sur nos terres nourries de culture judéo-chrétienne, d’un nombre croissant d’adeptes du troisième monothéisme. Caractérisée par la soumission à un seul canon, celui de Dieu, la foi islamique s’est trouvée face à un principe qui appelait ses fidèles à une véritable conversion mentale. Comment comprendre la séparation des ordres quand on vient d’une histoire qui n’a connu ni Réforme ni Révolution ? Et comment souscrire aisément à cette séparation sans en avoir au préalable compris et assimilé le sens ? Nous voici dans une embarrassante situation. Étrangers par notre passé historique, nous sommes cependant amenés à partager le même présent. L’actualité que nous partageons, dominée par les nouvelles technologies de la communication, ne favorise ni l’instruction ni la réflexion. De cette situation profitent largement gurus et imposteurs.
L’oubli de nos histoires respectives et la perte de nos repères culturels favorise la querelle récurrente des oripeaux. Pour certains, l’habit rituel fait le moine – l’habit comme preuve d’authenticité. Pour d’autres, le rejet de l’habit religieux fait le citoyen – l’abandon de l’habit comme vecteur de laïcisation. Il arrive que la laïcité soit confondue avec la défense de la liberté des femmes et que l’intrusion dans la façon dont celles-ci s’habillent revête l’apparence d’un altruisme libérateur. Dans tous les cas, la croyance tient lieu de réflexion. Dans tous les cas, la focalisation sur l’habit visible masque le nœud invisible. La fixation de l’attention sur un accessoire trahit l’occultation de problèmes essentiels. L’habit du moine sert d’alibi.
Est-ce utopique d’espérer en un dialogue qui, invitant pacifiquement chacun à enlever le voile qui brouille sa vue et sans recourir aux juges, permette aux uns et aux autres de ne pas se tromper de combat ?