Douter, c’est hésiter entre deux options, suspendre son jugement à défaut de pouvoir affirmer avec certitude. Hésitation intellectuelle, le doute est le meilleur ami de la connaissance puisqu’il ouvre la voie au dialogue, la contradiction, l’examen qui, seuls peuvent éclairer suffisamment la réalité que l’on veut connaître. Étape sur le chemin du savoir, le doute peut devenir systématique et se figer en scepticisme radical. Dans ce cas, converti en certitude absolue, il se mue en son contraire et trahit la racine latine de son nom, qui inclut le « duo ».
Soupçonner, c’est avoir une opinion défavorable sur les intentions ou les actions de quelqu’un à partir de certains indices. La signification latine du mot est à nouveau éclairante car elle indique le fait de regarder de bas en haut. Opinion mêlée de sentiments, le soupçon privilégie les apparences qui accusent. Défiance à tonalité morale, il tend à préjuger du vice plutôt que de la vertu. Cette tendance trouble l’ordre de la justice qui demande au soupçon d’attendre le procès de la personne suspectée pour conclure.
Pour réduire autant que faire se peut ce dérapage, le droit pénal d’un État protecteur des libertés écarte le concept de soupçon pour utiliser celui du doute. À défaut de preuves suffisantes pour condamner la personne accusée, le tribunal acquitte celle-ci « au bénéfice du doute ». Le principe éthique qui régit cette posture est la « présomption d’innocence » à laquelle a droit tout être humain.
Nous assistons actuellement à une confusion délétère. Le soupçon suffit pour accuser et l’accusation condamne avant même l’examen. Cette attitude est caractéristique des régimes totalitaires où la dénonciation remplace la justice. Largement médiatisée au nom de la « transparence démocratique », une telle posture propage la « présomption de culpabilité », voie royale offerte aux divagations névrotico-psychotiques et aux mesquineries politiciennes.
Notre démocratie est blessée à la tête. Qu’entreprenons-nous pour lui ouvrir les yeux ?
