Depuis quelques décennies, instruits par les découvertes scientifiques, nous savons que l’humanité, fruit de l’évolution, est une espèce animale parmi d’autres. La conscience de notre parenté avec le reste des vivants nous rend de plus en plus attentifs aux ressemblances et donc toujours plus sensibles aux souffrances des animaux. Nous allons jusqu’à leur accorder des droits et, pour les respecter, il nous arrive de renoncer à notre nature omnivore. Ce parti pris cohabite avec notre interrogation sur les pouvoirs humains/surhumains des robots et coïncide avec la mise en avant de la problématique des « genres ». Notre représentation de l’humaine condition est en pleine crise.
Cette crise de la représentation est liée au manque de confiance en soi qui affaiblit plusieurs d’entre nous. Une vision trouble sur la condition humaine ébranle notre assise intérieure, ce point d’Archimède qui permet de porter ce qui est pesant et d’entreprendre ce qui est risqué. L’explication scientifique, tant appréciée aujourd’hui, ne saurait fournir ce foyer d’équilibre et d’élan car elle déplie les choses de l’extérieur sans jamais atteindre notre noyau existentiel. Les recherches sur l’intelligence robotique, portant sur des modes opératoires étrangers au vif de notre sujet, ne sauraient nous informer sur l’essentiel de notre existence. Quant aux catégorisations identitaires, actuellement en vogue, elles sont indifférentes à la façon dont chacun vit son rapport à lui-même, à autrui, à l’amour et à la vie.
Parce qu’elle est approfondissement infatigable de la condition humaine, l’approche philosophique est éclairante. En plaçant l’humanité à la fois « dans » et « hors » l’animalité, elle nous fournit une assise à la fois sûre et souple. Vertébré supérieur, doté d’intelligence comme beaucoup d’animaux, l’homme est pourtant le seul vivant à pouvoir donner forme et couleurs à sa vie. Seul à « exister », diront certains philosophes en soulignant le « ex », l’aptitude à s’extraire des conditions physiques et biologiques, à les dépasser par la compréhension et par l’action. L’aptitude à dépasser ce qui est donné coïncide avec la ressource énigmatiquement exceptionnelle dont dispose tout être humain.
Cette ressource fait l’humanité de chaque individu – chacun porte en lui la capacité de convertir le donné en chemin personnel. Cette ressource nous rend collectivement aptes à fabriquer des artifices sophistiqués, à investiguer le fonctionnement de notre cerveau et à inventer des robots – l’apparition de notre espèce a un impact déterminant sur le cours des évolutions naturelles. Le potentiel de transformation qui définit notre humanité mérite notre confiance tout en exigeant notre attention. Donner confiance à ce « hors » c’est activer notre capacité d’inventer des issues, d’initier de nouveaux commencements, de créer l’inattendu, d’ouvrir la voie à l’inespéré.