Mars 2023 :
l’abstraction ?

Abstraire consiste à vider la perception de ses éléments concrets pour n’en retenir qu’une forme générale. Nous appelons « idées » les représentations mentales qui classent les choses perçues et ressenties par catégories générales. Ainsi, l’idée d’arbre, ignorant la richesse infinie des arbres réels et la singularité de chaque arbre en particulier, ne retient qu’une figure dématérialisée. L’idée d’arbre est à l’abri de tout danger. Contrairement à cet arbre-là que la foudre risque d’allumer ou d’abattre, la silhouette mentale de l’arbre revient, indemne, à chaque fois que je l’évoque. De surcroît, je peux jouer avec elle, la relier avec d’autres idées et même élaborer toute une théorie sur les forêts sans avoir à y toucher.

Il en est ainsi de l’idée de guerre. Alors que la guerre réelle apporte désolation et mort en dévastant les contrées, en détruisant les villes, en infligeant aux humains mort et blessures violentes, l’idée de guerre jouit de la pureté de son abstraction et aime jouer avec les idées connexes, les idées des chars, des missiles, des militaires, des civils, des mercenaires… Son jeu s’associe au calcul, tant de chars, tant de missiles, tant de… Son jeu n’hésite pas à brasser des hypothèses sur les camps qui s’opposent, à spéculer sur le devenir des hostilités, à extravaguer sur les négociations futures et à envisager déjà le financement de la reconstruction du pays sinistré. Pendant que l’intellect de ceux qui sont à l’abri compte et spécule, croissent de part et d’autre les souffrances et les non-sens.

En écoutant et en lisant les informations sur la guerre en Ukraine, j’ai de plus en plus l’impression d’assister à un jeu d’enfants. Son fait et sa longue durée semblent désormais admis sans états d’âme, les pourparlers sur le soutien militaire me font penser à un Monopoly où les tractations immobilières sont remplacées par des marchandages concernant les armements. Les idées abondent pour légitimer le principe d’une non-ingérence qui, cependant, ne cesse d’intervenir. Même si des armes sont réellement envoyées et des sanctions réellement imposées, l’ensemble me met mal à l’aise. Tout me semble se passer comme si nous avions perdu la réalité de cette guerre au profit d’indignations formelles enrobées de négociations commerciales.

L’abstraction est-elle en train d’envahir notre pensée éthique et politique ? Transformée en réalité virtuelle, menée par un mélange diabolique d’intérêts obscurs et de bonnes intentions, notre représentation de cette « guerre en Europe » n’est-elle pas en train d’oublier qu’une guerre réelle, non pas froide mais brûlante, est à nos portes ? Quant à nos portes, à en juger à partir de nos conduites actuelles, elles ne sont pas gardées par d’ardents partisans de la liberté…

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