Février 2023 :
la durabilité ?

Dès lors que les humains ont su bâtir leurs maisons avec des matériaux résistant aux feux et aux tempêtes, ils ont découvert le double avantage de la durabilité. Moins exposés aux aléas, leurs bâtiments formaient un habitat, un environnement artificiel apte à protéger leurs vies éphémères et celles de leurs descendants. Le désir de rendre cet entour à la fois aisé à vivre et plaisant à voir a généré l’alliance de l’utilitaire et de l’artistique. Encouragée par des chefs déterminés à pérenniser leur pouvoir en le gravant sur la matière, cette alliance a donné au fil du temps les ensembles urbains remarquables que nous admirons aujourd’hui. La prestigieuse Florence des Medici maintient ainsi le défi lancé à l’usure du temps.

La pérennité visée par les environnements artificiels de nos ancêtres exprime le désir d’immortalité caractéristique d’un vivant qui, conscient de sa mort, crée outils et mythes pour repousser à plus tard et interpréter au mieux sa fin inévitable. Il est possible que notre curiosité culturelle et notre consommation touristique soient souterrainement irriguées par la nostalgie d’un paradis terrestre perdu, l’eldorado des œuvres créées « pour l’éternité ». Nostalgie inconsciente, puissamment refoulée par la civilisation du biodégradable et de l’architecture en quête de design et non de durée. Notre ingéniosité est tout entière consacrée à la restauration de l’ancien. Elle ne vise pas la création de nouvelles pérennités.

Dans un essai écrit en 1958, Hannah Arendt reliait la condition de l’homme moderne à la périssabilité, voire à la destruction, des environnements existentiellement vitaux. En découvrant que la terre n’est qu’une planète parmi d’autres dans un univers immense et inexplorable dans sa totalité, l’homme moderne s’est trouvé démuni d’une assise qu’il imaginait indestructible. Entraîné dans la production industrielle et la subordination de celle-ci aux principes de fonctionnalité et de rapidité, l’homme moderne s’est trouvé pris dans le tourbillon des disparitions, disparition des édifices construits pour traverser les âges, érosion du lien avec le retour rassurant des saisons. Pris dans des systèmes politiques qui, d’une manière ou d’une autre, effacent la ligne de démarcation entre vie publique et vie privée, l’homme moderne s’est également trouvé dépossédé de l’espace politique et envahi dans l’espace de son intimité.

Dessaisi de ses espaces ambiants apaisants par leur durabilité et leur beauté, l’homme contemporain s’accroche à la préservation de sa planète mortelle en énonçant le principe du « développement durable ». L’« éco-anxiété », cette nouvelle forme de peur pathologique suscitée par le spectre du réchauffement climatique, pourrait être en partie expliquée par la perte de toute assise tectonique et architectonique stable. Tout semble se passer comme si, embarqué dans des environnements mouvants et voués à disparaître, notre désir viscéral de durée indéfinie s’était fixé sur la seule base matérielle qui nous reste, la terre et ses ressources limitées. Si notre planète est effectivement mise en péril par l’avidité humaine et ses cécités barbares, notre renoncement aux autres durabilités ne représente-t-elle pas un danger tout aussi important ?

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