Avril 2023 :
l’émancipation ?

À Rome, l’émancipation désignait la libération de l’autorité paternelle. La racine de cette notion juridique qualifiait l’autorité paternelle de domination –capere/capturer et manus/main signifiaient la mainmise de l’adulte sur l’enfant. Repris par les Constitutions issues de la Révolution de 1789, ce terme a aussitôt désigné le devoir de l’État d’affranchir tout groupe humain de la sujétion imposée par une autre collectivité. L’inégale application de ce principe a retardé de deux siècles en France le droit de vote aux femmes. Parallèlement, la loi de 1791, stipulant l’émancipation des Juifs, n’a pas réduit l’antisémitisme et, selon Hannah Arendt, a même contribué à son renforcement…

L’écart entre la théorie et la pratique explique le passage du registre juridique à celui de la revendication. L’individu contemporain combat pour sa liberté en réclamant la libération du groupe infériorisé dont il fait partie. Ainsi les étudiants de 1968 manifestent leur désir d’émancipation en rejetant les tutelles de l’enseignement ex-cathedra, de la morale bourgeoise et de la société de consommation. En lutte contre les inerties juridiques et la force des préjugés, la contestation de la rue contribue à la levée ou à la réduction d’un certain nombre d’assujettissements arbitraires. Ainsi de l’émancipation des femmes en couts, résultat d’une série de combats.

La revendication actuelle de l’égalité de tous dans le choix du « genre » diffère des précédentes par son objet. Il ne s’agit plus de se libérer d’une contrainte imposée mais d’un fait de naissance, le corps sexué. Sans sous-estimer les difficultés que cette donnée naturelle initiale représente pour un être conscient de lui-même, il est important d’y déceler la présence d’une tendance inédite : celle de s’affranchir du corps lui-même. Envisagé comme un obstacle à la réalisation de sa singularité personnelle, le sexe est déclaré d’emblée incertain et modifiable – il est « virtualisé ». La notion de « trans » désigne bien le caractère provisoire du sexe biologique et la possibilité, civile et technique, d’y substituer le genre, voire le sexe, de son choix personnel.

Sondée philosophiquement, l’aspiration à décider de son genre recèle le refus d’appartenir à l’espèce humaine émergée de l’évolution de la vie. La question posée par ce refus est d’ordre écologique. À l’encontre de l’écologie qui prône la nécessité de préserver la diversité des espèces vivantes, la marmite du « trans-genre » va dans le sens du « trans » ou « post » humanisme » qui vise le dépassement de notre condition présente grâce aux progrès techniques. À l’instar de celles-ci, elle travaille, à son su ou insu, à l’avènement d’une « sur-humanité » libre de se créer elle-même.

Mais le « surhumain » dont il s’agit ici n’est-il pas loin de celui que préconise Nietzsche ? Un individu qui assume son chaos intérieur en y puisant l’inspiration d’une grande œuvre – d’une œuvre qui enrichit le monde de sa luminosité créatrice…

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