Mars 2022 :
la guerre ?

Par l’ironie que pratique souvent l’histoire, l’invasion de l’Ukraine coïncide avec le mois consacré au dieu de la guerre, Arès pour les Grecs, Mars pour les Romains. La racine grecque du nom évoque le fléau. Le caractère de ce dieu de l’Olympe est de se réjouir du carnage et du sang sans souci de justice, sans cause à défendre. Alors que les autres dieux prennent parti lors des conflits qui éclatent entre les humains, Arès reste étranger à toute préférence, à tout jugement. Le mythe nous rend ainsi attentifs à ce qui sous-tend les agressions belliqueuses : les motifs apparents et les faits terrifiants dissimulent un sens qui traverse tous les événements du même genre et qui fait que l’histoire se répète. Au plus près de nous, Hitler et la Pologne, Poutine et l’Ukraine…

La cécité intellectuelle et morale semble faire partie intégrante de la guerre, quelles que soient ses manifestations historiques. Aveuglement d’un individu ivre du désir de dominer… pour fuir l’angoisse de sa propre mort ou/et médiocrité ? Aveuglement d’individus qui suivent le fou de pouvoir… pour se dispenser de l’effort de penser ? Semi-aveuglement des organisations étatiques et internationales… clairvoyance que fait loucher la poursuite d’intérêts économiques, financiers et sécuritaires présumés ? Telle est l’une des faces de Polemos qu’Héraclite érige en père de toutes choses. Face qui a son revers. Réalité qui, comme toute réalité, est inextricablement liée à son opposé. Au revers de Polemos, Héraclite donne le nom d’Eris, la lutte.

Le revers/endroit humain de la guerre aveugle est l’émergence de l’héroïsme, incarné par quelques individus qui opposent leur courage combatif à la violence. L’endroit humain de la guerre aveugle est l’émergence d’alliances vertueuses qui luttent pour la justice en vue de la paix. Pour une justice toujours clignotante car lestée des mesquineries et barbaries inhérentes aux humains. En vue d’une paix toujours provisoire car portée par le processus irréductiblement antagoniste de la vie, à la fois destructrice et créatrice. Assumées par la conscience, l’inconstance et la précarité peuvent servir de levier. Envisagée sans filtres idéologiques et utopiques, la guerre qui frappe près de chez nous pourrait enfin fonctionner comme un réveil :

« Spectateurs engourdis d’invasions et de violences lointaines, individus récemment mobilisés/atomisés pour une drôle de guerre contre le virus au profit de votre longévité physique, souvenez-vous de ce qu’une guerre réelle signifie ! L’invasion de l’Ukraine vous rappelle que la guerre n’arrive pas qu’aux autres lointains mais qu’elle est aussi pour vous ! ». La guerre actuelle rend évidente la différence entre « dispositifs de sécurité » et « lutte pour la paix ». Les uns, anonymes, soutiennent, ailleurs, des fléaux qui profitent, ici, à notre prétendue sécurité. L’autre, personnelle, concerne chaque occidental en tant que citoyen de l’humanité planétaire. Si la destruction est inhérente aux processus de la nature et qu’un fonds de violence git en toute psyché humaine – si la paix perpétuelle rêvée par Kant est inenvisageable -, l’effort pour construire une politique moins meurtrière est, en revanche, à entreprendre. À entreprendre maintenant ! Tout désastre comporte une opportunité. À nous de la saisir…

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