Démocratie est le nom donné au régime politique fondé sur le pouvoir du peuple, que ce pouvoir soit exercé directement, comme dans la démocratie athénienne, ou indirectement, comme dans les démocraties représentatives. Cette appellation associe deux termes à la définition problématique qu’elle espère concilier. Quel pouvoir ? Le pouvoir peut être usurpé, monopolisé, violent comme il peut être choisi, partagé, soucieux de justice. Quel peuple ? Le peuple peut exclure plusieurs catégories sous prétexte qu’elles sont inaptes de choix politique… La réponse au problème du pouvoir passe par la répartition de celui-ci en trois instances qui s’entre-contrôlent et par le principe du suffrage universel. La réponse au problème du peuple est plus difficile – à preuve l’accès si tardif des femmes au vote et, actuellement, le mélange des populations sur le même territoire national.
À supposer ces problèmes résolus, surgit aussitôt un autre, relatif au savoir. Pour participer à la décision politique puis pour mettre cette décision en œuvre, il faut connaître suffisamment les enjeux communs et les ressources disponibles ou/et accessibles. La complexification polymorphe des sociétés occidentales – soumises aux progrès technoscientifiques – et l’ouverture des économies nationales sur un marché mondial rendent impossible cette connaissance indispensable. Les « citoyens ordinaires » sont livrés aux informations, déformations, désinformations véhiculées par les représentations réductrices, partielles ou fausses. Les « responsables politiques » fondent la légitimité de leurs choix sur le recours aux « experts », ces « spécialistes » d’un pan isolé de la réalité. L’effort pour une vision globale a déserté le champ démocratique. Le règne des opinions nourries à l’intérêt personnel étriqué vient combler le vide.
Surgit ici le problème des inégalités créées par les États démocratiques en leur propre sein et cela en raison de leur allégeance, non pas à une union interétatique telle l’Europe, mais à un certain type de marché. Les défavorisés deviennent victimes de potentiels tyrans qui promettent sans savoir ni compter. Les favorisés soutiennent, non plus un courant politique, mais le système de leurs intérêts. Et, quand les résultats révèlent le péril de la dictature fomenté par la démocratie elle-même, le vote démocratique devient barrage contre l’extrême droite. La démocratie se trouve ainsi réduite à son essence minimale, privative, dépourvue autant d’idéal que d’esprit critique. Or une démocratie qui ne se remet pas en question est une démocratie déjà morte.