Juin 2022 :
la marche de l’histoire ?

Comme la racine de son nom grec l’indique, l’histoire est un tissu brodé au fil du temps. À la fois révolue et en devenir, l’histoire nous interpelle de deux façons. En tant qu’étoffe déjà tissée, elle sollicite notre raison en l’invitant à étudier les faits passés à travers les traces qu’ils ont laissées. En tant qu’étoffe en cours de tissage, elle s’adresse à nos émotions à travers montages et commentaires produits et diffusés par les canaux de l’information. Alors que la connaissance historique exige investigations et hauteur de vue pour se construire, la réception médiatique et internautique de l’actualité entrave la prise de distance et laisse libre cours aux affects. Notre contemporanéité à la marche de l’histoire dessert notre capacité d’en comprendre le sens.

La guerre en Ukraine illustre ce paradoxe tout en révélant la complexité de notre rapport à l’histoire.
Le spectacle des barbaries perpétrées par les envahisseurs suscite notre indignation et nous fait immédiatement condamner ce qui est humainement inacceptable. Mais cela même qui révulse notre sentiment de justice livre notre pensée aux cécités de la logique binaire. Ainsi le drame auquel nous assistons en spectateurs prend l’allure d’un « western ». Les « bons » sont tous du côté du Nord-Est Américain et de l’Europe, les « mauvais » sont tous du côté de l’État soviétique, honni par l’Europe vertueuse. Le western nous fait croire au réveil, enfin, de l’Union Européenne en dissimulant les intentions de la grande puissance outre atlantique qui, de surcroît, n’a jamais hésité à soutenir des dictateurs à l’Ouest comme à l’Est.

Nous voici pris entre deux temporalités. La première temporalité nous invite à condamner les atrocités commises et les tyrans qui en manient les ficelles. La seconde temporalité nous demande d’inscrire la situation dans l’ensemble complexe des faits qui en constituent les antécédents et le contexte. Exigence de justice d’un côté, exigence de justesse de l’autre. Dans les deux cas, nous sommes pris au piège de notre courte vue. Notre sensibilité à la justice est proportionnelle à nos proximités affectives et culturelles – le film russo-ukrainien masque celui des violences tout aussi atroces commises ailleurs. Notre sens de la justesse se heurte à une mission impossible – à l’impraticable dépouillement d’une documentation aussi énorme que contrastée.

Que faire ? Face à l’inaccessible vérité historique, refuser le manichéisme, rechercher la nuance…

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