Un courant récent confond le respect d’autrui avec l’effacement des qualités qui composent sa singularité. Ce même courant soutient que pour comprendre ou/et traduire une œuvre il est nécessaire d’être de même origine, religion, culture ou/et de même couleur que son auteur. S’y joint le langage inclusif censé combattre la discrimination par le sexe. Ces courants sont initiés pour mettre fin à la domination de « l’homme blanc », homme réduit à ses déviances racistes et machistes. Ils misent sur l’impact de la langue et sur son pouvoir corrélatif de faire évoluer les comportements.
Les vices que l’on souhaite éradiquer composent cependant les prémisses de cette nouvelle tendance… blanche et décolorante. Soutenir qu’une différence d’origine et de couleur empêche le respect et la compréhension n’est-ce pas nier la forme de l’humaine condition présente en tout être humain ? N’est-ce pas la participation à cette condition commune, incarnée et exprimée de façons diverses selon les régions, les religions, les histoires, les personnes, qui fonde notre possible entente et notre enrichissement mutuel ? Chasser, persécuter les discriminations potentielles n’est-ce pas une façon d’éviter la remise en question de ses propres préjugés et complexes refoulés ? Lutter contre l’exclusion sexiste par l’inclusion linguistique n’est-ce pas épingler chacun sur son genre, donné ou choisi, et réduire l’individu humain à son animalité ?
Pendant que le combat idéologique évacue la discussion, les violences poursuivent leurs destructions mortifères en s’inventant de nouvelles formes sournoises. La forclusion culturelle en est, justement, une. Déni, expulsion de ce qui fait de l’animal humain un être humain – sa singularité multicolore, le terreau qui a nourri son cœur et sa pensée. Déni, expulsion de ce qui fait de l’individu une personne – sa rencontre avec l’altérité, la relation de réciprocité avec l’autre différent. Par ailleurs, la contradiction entre l’évacuation des singularités et le discours sur la diversité est la marque d’une inquiétante carence réflexive.
L’anesthésie de la fonction critique, visée et induite par les idéologies totalitaires, prend actuellement le voile des intentions éthiquement motivées. Ce voile, tel un fantôme revenu dans un monde où l’on ne croyait plus aux spectres, inspire une étrange terreur : la peur de contredire la nouvelle bien-pensance par crainte de paraître le raciste, l’antisémite, l’homophobe qu’on n’est pas ! Rien d’étonnant à cela. L’intimidation est l’un des moyens voilés de la tyrannique logique de l’idée fausse caractéristique de l’idéologie.