De même racine que le verbe « construire », l’instruction désigne une communication particulière : la transmission d’un savoir structuré et assimilé qui pourra à son tour être réorganisé et enrichi par ceux qui le reçoivent. Par-delà la mise à disposition d’informations fondées et utiles, l’instruction offre à l’esprit une pâte à modeler, des instruments intellectuels pour mener le modelage et le désir d’utiliser le matériau existant pour avancer en compréhension sur le chemin de la vie.
La meilleure description de l’instruction se trouve chez Montaigne dans le chapitre De l’institution des enfants. Instruire, c’est éveiller et aiguiser la faculté de juger – de discerner – en se posant infatigablement la question « que sais-je ? » et en faisant de sorte que l’esprit éprouve une « éjouissance constante » en apprenant et en comprenant. Instruire, c’est entraîner et s’entraîner à lire « le grand livre du monde », ce miroir où il nous faut regarder pour comparer mœurs et situations, pour reconnaître qualités et imperfections – miroir qui nous aide à nous mieux connaître et construire en nous situant opportunément par rapport à la diversité des événements. En somme, l’instruction nous apprend à vivre, à être « philosophes ». Être philosophe, c’est penser ce qui arrive au monde et à nous-mêmes, c’est essayer, en toute circonstance, de parler et d’agir « à propos ». Avec justesse, et avec justice quand il le faut.
Peut-être le mal le plus grave dont nous souffrons aujourd’hui est-il le manque d’instruction. Celui-ci nous porte à des prises de position binaires face aux conflits qui ravagent le monde et empoisonnent les relations interindividuelles. Il nous incline à être « pro » ou « anti » sans connaissance historique, à adhérer ou à rejeter sans pénétration psychologique, à rester prisonnier d’une posture qu’une puissance extérieure nous a sournoisement imposée. Le manque d’instruction nous prive de clairvoyance en nous donnant l’illusion de la pensée personnelle et de l’engagement. Ainsi se trouve accru le malheur du monde et le nôtre. Ainsi l’obscurantisme des tyrans se nourrit de nos ignorances obstinées.
L’instruction commence en famille ou, à défaut, dès la première année d’école. Elle n’a pas besoin de cours de philosophie ou d’instruction civique. Elle se communique avec la façon dont les matières indispensables sont enseignées. Elle exige de l’enseignant la capacité d’apprendre lui-même de ses élèves quels qu’ils soient, de faire comprendre que les savoirs ennuyeux aujourd’hui seront utiles pour bien vivre demain. Elle relève d’un esprit léger mais non superficiel, d’un esprit qui éprouve la joie de penser et qui sait rire de soi. L’instruction advient par la pratique d’un « gai savoir » qui se nourrit de questions, s’étoffe de nuances et vise l’amélioration de l’humaine condition. Le problème est que, pour instruire, il est nécessaire d’être soi-même instruit…