En définissant la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social l’Organisme Mondial de la Santé ne passe-t-il pas à côté d’une réalité importante ? S’il est exact que la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité, peut-elle cependant coïncider avec un état de bien-être total ? Dépendante d’un organisme occupé à transformer l’usure inévitable de sa matière en nouvelle source d’énergie, la santé est tout autre chose qu’un état. Elle est tension, effort permanent pour préserver l’équilibre malgré les perturbations internes et les agressions externes – elle est le travail d’un individu aux prises avec des forces antagonistes et en lutte, inconsciente ou consciente, pour les concilier…
En faisant de la santé un droit humain fondamental, l’OMS éveille les États à leur responsabilité de mettre en place les mesures sanitaires appropriées pour assurer l’égal accès aux soins de tous les individus qui habitent leurs territoires respectifs. Mais, en même temps, elle omet de rappeler que la santé est aussi un devoir, une obligation que l’individu a envers la vie, la sienne et celle des autres. Toutefois, pour le vivant conscient que nous sommes, veiller à son propre équilibre ne va pas de soi. L’impossibilité d’adhérer entièrement au présent, l’inévitable projection dans l’avenir et la représentation mentale des diverses menaces réelles et possibles inspirent inquiétudes et anxiétés qui peuvent être pathogènes – l’hypocondrie illustre cette situation à l’extrême.
Une approche différente serait à tenter. Et si ma santé était le fruit de l’adhésion à ma propre unité ? Et si la santé émergeait du dépassement de mon penchant occidental à séparer la conscience du corps, à faire du corps un objet que la conscience observe et que la médecine traite ? En l’absence de maladie, la santé signifierait le sentiment de participer entièrement à la vie, d’être présent à soi-même, tantôt en jouissant d’une situation plaisante ou heureuse et tantôt en utilisant son énergie pour traverser une situation pénible ou malheureuse. En présence d’une maladie physique, la santé consisterait à ne pas l’envisager comme un adversaire à vaincre mais comme une sauvagerie intérieure à apprivoiser. Dans tous les cas, la santé résiderait dans la reconnaissance de la sagesse du corps et en la confiance faite à celle-ci.
La limite de cette approche est tracée par les aliénations mentales qui coupent la personnalité en deux et par les souffrances physiques insupportables. Cette triste limite a le mérite de marquer notre part obligatoire pour être en « bonne santé ». Tant que nous ne sommes pas dans « un état de complet mal-être », il nous faut adhérer et travailler à l’unité de notre organisme unique, à en écouter les sollicitations, à le protéger des modes et protocoles du moment, à le soutenir dans son travail d’autorégulation et d’autoréparation… En chacun de nous est à l’œuvre une mystérieuse et invisible alchimie inaccessible à la rationalité scientifique et son outillage technique.