Les Grecs anciens avaient plusieurs mots pour nommer la douceur tant cette vertu leur semblait centrale. Aussi étrange que cela puisse nous paraître, la douceur était considérée comme une vertu politique, au sens large de ce terme. Si Aristote définit le vivant humain comme un animal politique, c’est en raison de sa capacité exceptionnelle de communiquer avec ses semblables par la parole et d’élaborer des règles de vie commune permettant à tous et à chacun de bien vivre. La douceur est la qualité qui, nourrissant les relations inter individuelles, fonde la solidarité du groupe, condition indispensable de sa pérennité fertile.
Les ingrédients grecs de la douceur en éclairent la complexité en la distinguant de la mollesse, de la sensiblerie, de la complaisance, de la tolérance aveugle. Ancrée dans une disposition préalablement favorable à l’égard d’autrui, la douceur invite le discernement à être lucide sur le profil de l’autre et sur ses actions. Consciente de la difficulté inhérente à la condition humaine et attentive aux difficultés relatives aux circonstances présentes, la douceur fait preuve d’indulgence en cherchant à comprendre avant d’accuser. Puisant son énergie dans la fidélité aux valeurs qu’elle estime fondamentales du point de vue humain ainsi qu’aux principes jugés déterminants pour faire face à telle situation concrète, la douceur peut s’opposer à la justice établie au nom de l’équité. Confrontée au malheur d’un individu ou d’une collectivité, elle compatit sans s’apitoyer.
Par ses traits, la douceur est une force qui ne recourt pas à la force. Elle inclut l’autre au moment même où elle lui exprime une exigence, un mécontentement, une déception. Quand elle sait avoir raison, elle explique sa posture de manière compréhensible aux personnes ou aux groupes concernés. Quand elle sent l’urgence d’une action, elle tient compte du rythme de ceux qu’elle veut entraîner et use de persuasion pour obtenir l’accélération nécessaire. Confrontée à l’opacité ou à la crise, elle avance en utilisant la nuance, confiante en le meilleur des êtres humains.
Ce meilleur n’advient vraiment que grâce à une parole qui dit les choses au lieu de les travestir ou de les cacher. Ce n’est pas un hasard si, dans la Grèce très ancienne, la douceur était indissolublement liée au dialogue et au franc-parler. Au dire brutal et au non-dit, la douceur substitue le dire courageux qui, respectant les autres, permet de faire communauté avec eux.