Janvier 2025 :
Le « peuple » ?

Le mot « peuple » fut érigé en concept politique par la démocratie athénienne et la république romaine. Le demos désignait l’assemblée des citoyens qui, après discussion, décidait des affaires publiques. Cicéron insistait sur l’importance des liens en définissant le populus comme un groupe d’hommes associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une communauté d’intérêt. La réflexion moderne sur les régimes démocratiques s’est portée sur la façon, directe ou indirecte, dont le peuple est présent à l’Assemblée. La démocratie représentative et les élections pour nommer les députés est aujourd’hui de rigueur, même dans la Suisse, patrie de Rousseau partisan de la souveraineté directe du peuple.

Le peuple est une réalité diversement problématique. D’emblée, à Athènes, à Rome et dans nos contrées jusqu’à la moitié du 20e siècle, l’Assemblée à main levée excluait les femmes. D’emblée, le critère de la décision juste était la majorité, or celle-ci peut se tromper. Depuis qu’elle est représentative, la démocratie découpe doublement le peuple et le vide ainsi de sa substance. D’une part, le peuple n’existe qu’à travers les individus qui votent en allant périodiquement aux urnes. D’autre part, le peuple n’est qu’à travers ses représentants organisés et divisés en partis. Le rapport vital entre discussion et décision se trouve ainsi inversé et perverti. Les citoyens choisissent à partir de leur adhésion à un parti qui, comme son nom l’indique, défend les intérêts particuliers d’une catégorie. Décidant en fonction d’un parti pris, les députés se battent pour défendre l’avis de leur clan sans discuter. Rémunérés pour faire leur devoir civique et jouissant d’avantages liés à leur position, les élus oublient qu’ils représentent le peuple. De problématique, la réalité du peuple devient fantomatique.

À cette dérive institutionnellement fondée s’ajoute actuellement une autre. Les débats sont des pugilats sans gants où chacun agresse l’autre en l’insultant sur fond de lutte pour le pouvoir en tant que pouvoir. Ce n’est plus l’idée qui est soumise à la question, arguments informés à l’appui. C’est la personne qui est invectivée, violations à sa vie privée en soutien. Ce n’est plus l’intérêt commun qui est en jeu mais le plaisir de descendre un adversaire. Ce dérapage vient d’une ignorance arrogante et l’alimente. Ignorance de la complexité constitutive d’un peuple. Ignorance des institutions de la République. Ignorance de l’histoire de la démocratie. Ignorance du respect élémentaire dû à tout être humain. Officiellement acceptées et perpétrées par ceux-là mêmes qui ont été élus pour nous représenter, ces ignorances sont politiquement néfastes. Nous assistons à un suicide démocratique. Qui l’eut cru ? Les systèmes lassés de vivre ont aussi leurs penchants autodestructeurs.

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