L’espoir fait confiance en l’avenir incertain, misant sur le meilleur malgré la conscience lucide du pire toujours possible. La lucidité qui accompagne l’espoir est à double tranchant. D’une part, en le protégeant de la rêverie, elle lui fournit des ailes pour s’élever au-dessus des constats, d’aller de l’avant, de transformer. D’autre part, en s’appliquant à critiquer les situations présentes, la lucidité risque de s’y complaire et ainsi de bloquer l’élan du cœur. En érigeant l’espérance en vertu théologale, le christianisme ne manque pas de lui associer l’amour et la foi. Croire en le miracle est le fait d’une âme généreuse, ouverte à l’amour du prochain.
La présence de la « fraternité » dans la devise républicaine indique, pour Bergson, la condition sans laquelle la liberté et l’égalité politiques sont irréalisables. Sans ce puissant levier affectif, les législations les mieux conçues sont vouées à demeurer abstraites. Non irriguées par ce qui donne chair humaine aux conduites, les lois démocratiques vont aux dérives que nous leur connaissons. Ces dévoiements, aujourd’hui flagrants, semblent sonner le glas des principes démocratiques. Confusion entre libre expression des pensées et déferlement du n’importe quoi ; confusion entre la justice et une égalité statique nivellante sont représentations étrangères à l’esprit de fraternité.
Qu’est-ce la fraternité sinon la conviction que l’humanité est une réalité « une » liée par un « destin commun » ? L’humanité est une par l’aptitude innée à tous les êtres humains de dépasser les données empiriques en donnant forme à leur vie, en façonnant leur environnement naturel et culturel. L’humanité est liée par un destin commun du fait qu’elle est au monde dans le même monde et que la planète terre est son habitat. Que serait-ce la fraternité sans notre confiance en le potentiel de chacun pour devenir meilleur ? Fondateur d’une morale austère, Kant refuse d’attribuer à l’individu qui a commis des crimes le qualificatif de criminel : la méchanceté n’est pas une essence mais une sorte d’accident malheureux de parcours. Du « bois courbe » dont est taillé l’être humain pourrait un jour advenir un « État cosmopolitique » où, sans éliminer périls et imperfections, chaque État particulier garantirait à ses citoyens un cadre sécure, propice à la liberté et à l’égalité.
Croire en ce que l’être humain a de meilleur est, peut-être, une façon d’espérer quand même tout porte à perdre espoir. Inscrire cette croyance dans le temps long est, peut-être, une manière d’échapper à la démoralisation sans pour autant tomber dans l’optimisme béat. Espérer n’est pas positiver mais parier en connaissance de cause. L’écart entre nos principes et nos pratiques ainsi que la persistance de la barbarie dans le monde sont, peut-être, les effets d’une humanité qui n’a pas encore atteint sa maturité. Et si, malgré nos fulgurants progrès techniques, nous étions encore à l’aube de notre humanité ? « À l’âge de fer planétaire », comme le dit Edgar Morin ? Affaire à suivre par nos descendants lointains…