L’égoïste met son intérêt par-dessus tout, l’égocentrique ramène tout à lui. Ces deux attitudes de prévalence de l’ego ne se recoupent pas nécessairement. Pour obtenir ce qui est avantageux pour soi, il est important de rester ouvert au monde. Observer, discerner, évaluer aussi bien les situations que les profils psychologiques sont des moyens pour user des choses à son profit. Curiosité, générosité ne sont pas incompatibles avec l’égoïsme, même s’il est des égoïstes avares et obtus. Il est intéressant de noter que l’égoïsme ne fait pas partie des sept péchés capitaux. Il est même des philosophes pour souligner les vertus d’un certain égoïsme qualifié de « sain ». Ne faut-il pas s’aimer soi-même pour aimer les autres ?
L’égocentrique, lui, est épris de soi. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas la diversité du monde, la variété des situations, les existences et les récits des autres, mais sa façon de vivre le monde, les situations, les autres. Il est absorbé par ce qu’il a fait, le rôle qu’il a joué, la victime qu’il a été, le propos qu’il a tenu. Ce qui l’environne ne revêt de l’importance que s’il en est l’acteur ou le destinataire présumé. Aussi remplit-il l’espace sans se soucier de la présence des autres, tient des propos assertifs, repousse la contradiction. Quand il lui arrive de demander les nouvelles ou l’avis d’un autre, c’est pour les convertir en occasions de parler encore et encore de lui. L’extrême limite de l’égocentrisme est le narcissisme pervers qui, niant carrément l’existence des autres, les traite comme des moyens pour augmenter le volume de son nombril.
Nous assistons actuellement à une montée de l’égocentrisme. Certains psychiatres, comme Jean-Pierre Lebrun, relient ce phénomène au déclin de l’autorité parentale et à l’avènement de l’enfant-roi. L’effacement des limites, jugées traumatisantes, aurait oblitéré la figure de l’autre, preuve de l’extériorité. Privé d’extériorité, sans rencontrer les écueils nécessaires à la construction de la singularité individuelle, le moi resterait sans contours. Vide de contenu, le moi de l’égocentrique serait tonneau de Danaïde, un sac percé où rien ne reste. Ainsi emploierait-il son temps en essayant de se remplir d’avoirs, en se donnant l’illusion d’être alors qu’il n’est pas. Susceptible mais non sensible : sans assise intérieure, l’égocentrique se vexe pour un rien sans jamais souffrir vraiment du malheur d’un autre. Polémique mais non critique : Manquant de confiance en lui, voulant avoir toujours raison, il agresse son contradicteur au lieu de discuter avec lui.
L’égocentrisme est une maladie devenue si ordinaire qu’elle passe inaperçue. Elle est même encouragée par une technologie qui en profite, nommant ses tablettes « I phone et I pad » et procurant des engins pour faire des « selfies ». « Moi, moi, moi plutôt que le paysage. Moi, moi, moi, mon apparence miroitée, multipliée, diffusée, pour fuir le vertige de mon rien ».