Le lotus attire nos ancêtres lointains par son insolite aventure. Sa fleur éclot sur des eaux troubles et boueuses dès les premiers rayons de soleil et s’ouvre langoureusement en forme de couronne. Le soir venu, les pétales se replient et la fleur recroquevillée disparaît sous les eaux, en attente de réapparaître le lendemain pour recommencer son parcours. Les Égyptiens y voient le symbole du dieu Soleil en sa course infatigable. Les Hindous font émerger du bouton du lotus le principe créateur de l’univers, le Brahma. Attentif au fait exceptionnel que le lotus produit fleurs et graines en même temps, Bouddha voit dans cette coïncidence le mystère d’un univers qui commence à se développer au moment même où il apparaît.
Archétype de la naissance, de l’énergie vitale, de l’épanouissement et de la renaissance, le lotus représente en même temps la nécessité des plongées en abîme. Son retour dans les profondeurs sombres n’est-il pas la condition de son retour auroral ? Pour revenir à la surface des eaux, le lotus ne doit-il pas sombrer dans ses tréfonds ? Étrangères à nos tendances positivistes, les sagesses ancestrales nous initient à la fertilité des ténèbres. Plus précisément, elles nous rappellent la présence, dans nos cœurs et dans ce qui nous arrive, du bourbeux et du nocturne tout en nous livrant un secret. Le voici. Les ténèbres sont fertiles à condition d’être traversées – dès lors qu’elles sont traversées. Pour faire de ce secret un gouvernail de navigation, nos ancêtres se livraient au culte des puissances cosmiques, tantôt personnifiées et tantôt confondues avec l’univers.
La modernité nous a livrés à nous-mêmes. Plantés derrière nos écrans isolants dans un monde de plus en plus connecté, consommateurs de techniques et de pharmacies pour réduire notre stress, attendant les confirmations scientifiques pour croire à ce que des penseurs du monde entier avaient déjà intuitionné, nous sommes mal armés pour affronter l’obscur et le fangeux. Amateurs impatiens de spots et de néons, nous négligeons les symboles archétypiques qui font jaillir la lumière de la nuit. Mais comment accueillir les vieux symboles sans régresser mentalement ?
En faisant confiance en l’humanité lorsqu’elle était en osmose avec l’univers, perçu et respecté comme divin. En cueillant la vérité des mythes fondateurs, nés du cœur vibrant et non de la froide raison. En misant sur notre capacité personnelle de fleurir et refleurir à partir des eaux troubles, capacité énigmatiquement associée à la magie de la vie.