La résistance à la réforme des retraites exprime, entre autres, l’ambivalence de la relation au futur dans le cadre de la société française, démocratiquement sociale et technologiquement avancée. La vision individualiste gomme le lien que le système des retraites établit entre les générations en focalisant l’intérêt des individus sur une certaine représentation du travail. Pris à la lettre de la signification de son étymologie latine, celui-ci suggère la pénibilité torturante. En 1995, la sociologue Dominique Méda caractérisait le travail de valeur en voie de disparition. L’opposition actuelle confirme bruyamment cette observation.
Le déclin de la valeur travail, centrale pour nos aînés, serait-il compensé par l’essor d’une autre valeur ? Quelle est l’occupation qui, aujourd’hui, occupe le devant de la scène ? Un simple coup d’œil révèle l’importance croissante de la préoccupation climatique sur fond de catastrophe pour la terre et ses habitants. Dans nos sociétés économiquement avancées, le rapport à l’avenir est marqué par le recensement des préjudices que notre usage inconsidéré des progrès inflige à l’environnement. Les partisans d’une écologie radicale, fourrant dans un même sac produits de la culture et outrages à la nature, associent la défense de la planète à la décoloration du monde au profit d’un vert désincarné. Les défenseurs d’une écologie raisonnablement incontournable cherchent à articuler les avantages du progrès et le respect de l’ecoystème, dont l’humanité victime d’une mondialisation écervelée.
La valeur « environnement » et la nécessité de réformer les retraites ont un point commun : leur relation à l’avenir. L’une et l’autre sont en principe au service du bien-être des générations futures. Compte tenu de cette convergence essentielle, comment comprendre la contradiction entre l’intensité affichée du souci écologique et l’opposition manifestée à l’après-travail des enfants de nos enfants ? Opposition de principe et non de pensée critique. Dans la civilisation de l’immédiateté, le questionnement éclairé fatigue…
L’adage chrétien La paresse est la mère de tous les vices trouve son complément dans la pensée de Rabelais L’ignorance est la mère de tous les maux. L’incohérence des conduites n’a-t-elle pas sa source dans la carence d’informations instructives et le défaut de réflexion ? Attisés par une presse déconnectée de toute perspective l’historique et par un réseautage numérique qui excite les émotions, ne sommes-nous pas en train de perdre l’avenir au profit d’un présent criblé de peurs aveugles ?