Le remords est le tourment d’une conscience convaincue d’avoir mal agi ou d’avoir omis d’agir quand elle le devait. Il peut concerner une action ou un manquement délibéré comme il peut naître de l’illusion qu’on aurait pu faire autrement. Si, dans les deux cas, la conscience se mord douloureusement elle-même, la culpabilité, quant à elle, peut être réelle ou imaginée. Elle est réelle quand l’individu avait la possibilité de faire autrement, vu les circonstances et compte tenu de son état du moment. Mais la culpabilité peut aussi relever de ce que Bergson nomme l’illusion rétrospective qui, jugeant le passé à partir des critères et des souhaits du présent, en déforme la réalité. Dans ce cas, la culpabilité est le sentiment pénible permanent de ne jamais adopter le comportement qui aurait convenu, d’être toujours en faute et en défaut.
Plus fréquent qu’on ne le pense, ce sentiment incommode, voire torturant, est diversement trompeur, polluant et stérile. Trompeur : il plaque sur la situation passée notre état d’aujourd’hui, fruit de notre évolution physique, psychique et morale. Trompeur aussi : il nous érige en juges uniques et infaillibles de nous-mêmes, oubliant que le propre du jugement solitaire est de s’égarer. Polluant : il crée une atmosphère d’insatisfaction confuse et récurrente qui complique les situations courantes et empêche les événements heureux d’avoir leur plein effet. Stérile : focalisé sur ce qui aurait dû avoir lieu, il enchaîne l’attention au passé en obstruant la voie de l’avenir – la possibilité pour l’individu de devenir meilleur. Le terme grec heautotimôroumenos, désigne celui qui, se croyant toujours en faute, devient son propre châtieur et encombre, de ce fait, sa relation aux autres.
Aristote définissait la vertu comme le milieu entre deux excès. Le remords infondé ou/et extrême mine la conscience, complique l’existence et éloigne les satisfactions joyeuses. Mais son contraire, l’inconscience, néglige par son indifférence les occasions pour mûrir et mieux apprécier l’existence. Entre ces deux excès se situe la vertu de responsabilité, indissociable de la liberté. Penser ce qui a été, chercher à comprendre les événements et nos comportements passés en évitant dénigrements et idéalisations, inscrire notre examen de conscience dans l’évolution autant des situations que de nous-mêmes apporte l’équilibre entre inquiétudes vaines et contentements illusoires. Le milieu entre auto-culpabilisation systématique et indifférence cynique consiste à accepter notre imperfection et miser sur notre liberté pour ajuster notre attitude aux circonstances – pour répondre avec justesse aux circonstances de nos vies.