Mouvement visant à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, le féminisme est marqué par le suffixe « isme » qui, lorsqu’il s’agit d’un courant doctrinaire, exprime et appelle l’adhésion fervente. Ceux qui y adhèrent sont davantage que des fidèles, ce sont des adeptes déterminés à combattre jusqu’au bout pour réaliser, dans les faits, la représentation du monde qu’ils croient juste. Le jusqu’au bout signale que la cause en question exige, de la part des militants, des sacrifices, l’ultime étant celui de sa vie. Cette pointe extrême, nécessaire pour signaler la radicalité de l’engagement, expose tout mouvement qualifié par un « isme » au péril du fanatisme.
La contradiction entre les déclarations des droits de l’homme, élaborées à la fin du 18ème siècle, et le traitement réservé aux femmes dans les États censés institués pour protéger l’égalité de tous les citoyens devant la loi, est plus que déconcertante. Elle signale l’obscurantisme étrange lové dans les esprits les plus ouverts. Elle signifie la force des préjugés cristallisés en attitudes et la superbe d’une raison qui rêve de changer le monde alors qu’elle maintient l’ordre ancien par les lois même qu’elle établit. Dans ce contexte aberrant, le mouvement pour l’égalité des femmes doit s’armer d’une énergie capable de faire céder la violence, institutionnelle et mentale, de l’injustice.
Énergie, non pas de violence, mais de farouche détermination. Le refus d’opposer la violence à la violence exige que l’on prenne la juste mesure de la cause à défendre et que l’on se situe justement par rapport à celle-ci. Connaissance documentée des inégalités en présence d’un côté, de l’autre conscience que le destinataire du combat est l’humanité, composée d’hommes et de femmes. Si la militante est mue par une expérience traumatique, la cause qu’elle défend lui demande cependant de transmuer son trauma personnel en actions pour l’intérêt commun. En France, Gisèle Halimi choisit le métier d’avocate et exerce par ce biais une influence décisive sur les institutions et les responsables concernés. Simone Veil entre dans la magistrature et accède aux fonctions de l’État à partir desquelles elle peut lutter pour la défense effective des libertés. Féministes, ces deux femmes le sont par une conviction qui transcende leur souffrance par rapport aux malheurs subis.
Le féminisme actuel prend une tournure différente. Le trauma individuel mène le jeu et la communication sur le malheur personnellement subi devient le nerf d’une guerre qui est, avant tout, une guerre de communication. La mise en valeur de son sort de victime l’emporte sur le sens à défendre. Mais poursuivre individuellement et rageusement les coupables de sa propre humiliation est-ce là une manière efficace de transformer les mœurs ? Cette façon ne risque-t-elle pas de substituer la misandrie à la misogynie productrice des inégalités inacceptables qui subsistent encore ? Car les mœurs résistent aux lois censées les modifier…Individualiste, égocentrée, suspendue à la « com », donné en pâture à l’opinion irréfléchie, le combat légitime des femmes pour l’égalité n’est-il pas en train de glisser dans les travers des « ismes » davantage fanatiques que créateurs ?