Grand émoi en France autour de l’inéligibilité de Marine Le Pen. Émoi suscité par les hommes politiques de tous bords aussitôt relayés par les médias. Dans ce tourbillon des propos, le motif de la condamnation passe à la trappe. Car c’est bien de corruption, de détournement de fonds et d’usage illicite des impôts des contribuables que Marine Le Pen est coupable. Passe également au second plan la prise de position de l’intéressée sur l’inéligibilité des fraudeurs de haute fonction politique et de bas niveau éthique.
Que la sanction d’illégitimité soit sévère ou non, que la raison évoquée quant au risque de récidive et que la non prise en compte de la lenteur de la justice puissent faire l’objet d’une discussion, cela n’enlève rien à la gravité du délit. Ni faire oublier la posture moralisatrice de celle qui, hostile à l’Europe – et donc à la politique française – puisait dans les caisses de son Parlement.
Le trouble confusément éprouvé et bruyamment diffusé n’est-il pas en lui-même périlleux ? Qualifier de politiquement risquée une décision qui offenserait l’électorat de plus en plus dense du Rassemblement National n’est-ce pas signifier aux citoyens que l’ordre des priorités républicaines a changé ? Le critère de la valeur des candidats n’est plus leur compétence politique et leur qualité morale mais leur popularité ! Soutenir l’éligibilité d’un chef de parti corrompu deviendrait donc un acte démocratique ? Renversement alarmant.
Dans ce cas, la démocratie renoncerait à sa fondation même qui est d’établir et de protéger les conditions objectives de la liberté de penser. Parmi ces conditions figure prioritairement l’éducation du peuple. Éduquer le peuple n’est pas le flatter mais l’éclairer. En l’occurrence, l’éclairer c’est souligner, non seulement les torts de sa candidate préférée, mais aussi sa trahison envers lui. C’est sa confiance que cette cheffe a trompée, c’est son argent que son parti a empoché, et pas pour le redistribuer aux mal lotis qu’elle brosse dans le sens du poil…
Alimentée par les mauvaises consciences politiciennes, la focalisation sur l’inéligibilité de Marine Le Pen ne révèle-t-elle pas à quel point celle-ci était nécessaire au (dys)fonctionnement de notre démocratie ? Adversaire coutumière de la présidentielle, pion déplaçable lors des votes épineux à l’Assemblée, pôle indispensable pour la gauche insoumise qui a perdu son électorat ouvrier et spectre/martyre pour ceux qui craignent de subir la même mésaventure.
Jusqu’à présent, en panne d’héroïsme réel, nous avions pris le pli d’ériger les victimes en héros. Cet incident indique une nouvelle tendance, confirmée par le phénomène Trump : accorder de la grandeur politique aux ennemis du peuple.