Novembre 2025 :
L’égocratie ?

Portant le nom de celui qui est hypnotisé par lui-même, qui est son propre et permanent narcotique, Narcisse est le symbole de l’individu épris de lui-même, sourd aux paroles des autres ou, plus exactement, ne percevant dans les avis et les questions venant du dehors que l’écho de ses désirs. Freud introduit le concept de narcissisme pour désigner deux situations différentes. Le narcissisme infantile, étape nécessaire du développement subjectif, attachement à son corps et à sa quête du plaisir, condition de la prise de conscience de l’altérité, des autres en tant que limites posées aux désirs égocentrés et avec lesquelles il faut compter. Le narcissisme pathologique, persistance du centrage passionnel sur sa personne, négation de l’altérité et usage abusif, voire destructeur, d’autrui pour renforcer son propre ego.

Il y a quelques années, paraissait l’essai intitulé Les Narcisse. La psychiatre F. Hirigoyen y examinait la montée des profils narcissiques au pouvoir, aux postes clés de l’économie et de la politique. L’assurance puisée dans la passion pour un moi fixé au stade infantile et vide de réel contenu, s’alimente au fantasme de la toute-puissance, y subordonne l’interprétation des événements et s’empare des subjectivités des autres, tantôt en les emprisonnant dans sa fantasmagorie, tantôt en les réduisant cyniquement en objets d’auto-jouissance, souvent les deux à la fois. Actuellement, c’est le monde politique qui en est envahi. Que les environnements dont émergent ces dirigeants soient marqués par le totalitarisme ou par une tradition démocratique, le fait est que le devenir mondial est aux mains de ceux que Soljenitsyne qualifiait d’égogrates. Non seulement le pouvoir est de plus en plus personnalisé, encore est-il de plus en plus exercé par des profils régressifs qui substituent l’impulsion à la réflexion, le caprice à la détermination, l’extermination à la réelle négociation.

Le plus stupéfiant est que…ça marche ! Les médias se font l’écho infatigable de ces méga-egos, désormais présents sur tous les écrans, publics et privés. L’exhibition de leurs égoïsmes destructeurs des institutions et des populations fait leur publicité en infusant la conviction que tout désormais dépend de leur impulsion. Ça marche, parce qu’ils ont en face d’eux une multiplicité de micro-egos bien enflés mais dispersés, insensibles à leur habitat et à leur destin communs, incapables de regarder autre chose que leur nombril, indifférents aux misères les uns des autres. Bernés par la logique binaire promue par les égocrates, étrangers à toute discussion sur nos thèmes communs, nous sommes la caisse de résonance de cela même que nous dénonçons. Le politique, cette organisation du vivre-agir-penser ensemble d’une pluralité d’êtres uniques (Arendt) disparaît devant l’égocentrisme généralisé.

Comment faire ? Pour commencer, approfondir notre complicité volontaire et involontaire ?

Partager cet article

La consultation philosophique

Renseignez ce formulaire
et je vous contacterai dans les meilleurs délais