Désarmer pour soigner ?

Les meurtres commis par des adolescents à des endroits réservés à l’apprentissage scandalisent nos sociétés habituées au spectacle des guerres qui se déroulent ailleurs. La réponse de nos politiques est spontanément et systématiquement technique – renforcement des mesures de sécurité et des interdictions. L’attention est portée à l’instrument qui tue plutôt qu’à la main. Or c’est bien une main commandée par un individu qui opère. Cette main est celle d’un être humain en train de se faire à partir de sa complexité personnelle, complexité embarquée dans une histoire singulière et évoluant dans un environnement donné. Histoire personnelle et environnement particulier sont inscrits dans l’histoire d’une société qui les englobe et les conditionne à son tour.

Il ne s’agit pas de faire le procès de la société ni d’ignorer l’importance de l’accès à l’arme du crime. Il s’agit de questionner le sens des réactions officielles à ce genre de situation extrême. Les réponses instrumentales sont accompagnées de la communication du procureur de Chaumont après examen psychiatrique du jeune meurtrier : « absence de signes évoquant un possible trouble mental ». Nous voici face à un « acte gratuit », sans mobile apparent. Décrit comme « sociable », issu d’une famille « normale », cet adolescent s’avère dépourvu de tout sentiment à l’égard d’autrui. Exempt de toute pathologie reconnaissable… Mais comment ne pas voir en l’accumulation de ce genre d’actes une nouvelle forme de maladie mentale caractérisée par la négation radicale d’autrui ? Absent de la représentation, ignoré du cœur, l’autre n’existe pas. Le couteau élimine physiquement un inexistant mental.

En 1995, alors que le virtuel ne faisait que poindre, Jean Baudrillard publiait un essai où il décrivait « le crime parfait » de notre époque. « Avec le virtuel, nous entrons non seulement dans l’ère de la liquidation du Réel et du Référentiel, mais dans celle de l’extermination de l’autre. C’est l’équivalent d’une purification ethnique qui toucherait non seulement les populations singulières, mais s’acharnerait sur toutes les formes d’altérité ». Dans un ouvrage sous-titré « Vivre ensemble sans autrui », le psychiatre Jean-Pierre Lebrun soutient que « la perversion ordinaire » de notre temps – ordinaire parce qu’elle est largement partagée – consiste dans l’égocentrisme exacerbé qui, rivant chacun sur lui-même, évacue la représentation et la réalité des autres.

L’absence de signes de maladie mentale n’indique-t-il pas l’émergence d’une nouvelle forme d’autisme, présent chez nos responsables politiques ? Ignorance de ce que vivent leurs gouvernés ; élimination du réel derrière leurs joutes idéologiques, leurs dépenses somptuaires, leur tolérance et souvent l’armement des atrocités verbalement dénoncées qui sévissent dans le monde.

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